LIBÉRALISME DU MARCHÉ EUROPÉEN ET HAUSSE DU PRIX DE L’ÉLECTRICITÉ

L’Europe a connu pendant des années une électricité abondante et peu chère, mais le contexte géopolitique de ces dernières années montre que le système électrique tel qu’il est aujourd’hui est fragile et non souverain¹. Face à ces enjeux, l’Europe a envisagé une réforme de son marché de l’électricité². Quelle est cette réforme, est-elle suffisante, quels sont les impacts sur le prix de l’électricité ?

Les origines du marché de l’électricité

En 1880, l’électricité en Europe est considérée comme un emblème du progrès³. L’abondance électrique pousse les industriels à transformer le monde à travers des innovations techniques utilisant l’électricité. L’Homme voit son confort grandir  avec l’apparition de la télécommunication (radio, téléphone, …), l’électrification des habitations, le développement de nouveaux secteurs industriels (électrométallurgie, électrochimie, …) ou plus tard, l’électrification des transports (train).

Ingénieurs et savants ont travaillé ensemble pour mettre en place un système électrique assurant l’approvisionnement, l’acheminement et la diffusion massive de l’électricité. Les progrès techniques – notamment la création de la très haute tension – ont permis de transporter l’électricité sur de longues distances et à bas coût. Fin 1980, le système électrique européen est interconnecté de Lisbonne à l’Europe de l’Est. Cette interconnexion permet d’assurer des échanges d’électricité à l’échelle internationale et ainsi de répondre aux variations d’offre et de demande.

Le réseau d’interconnexions électriques en Europe. Source : ENTSOE, OpenStreetMap.

L’électricité ne se stockant pas, le marché européen de l’électricité permet avant tout d’équilibrer l’offre et la demande électrique en temps réel dans l’ensemble des pays et ainsi d’éviter les risques de black-out. Etant donné que les pics de consommation des pays ne sont pas au même instant, l’interconnexion européenne permet de lisser la demande. La sécurité sur l’offre électrique est également augmentée grâce aux échanges transfrontaliers : si une centrale tombe en panne dans un pays, les pays voisins peuvent apporter leur soutien. 

Fonctionnement et avantages du marché européen

Selon les ressources disponibles sur le territoire, les pays ont organisé leur système électrique différemment, mais tous ont en commun l’intervention des pouvoirs publics nationaux, qui permet une meilleure gestion des investissements et garantit d’approvisionnement pour les consommateurs. A partir de 1996, les institutions européennes se sont saisies des problématiques électriques. Des accords européens ont alors ouvert le secteur électrique à la concurrence en séparant les producteurs, les traders (ou agrégateurs) et les distributeurs d’électricité⁴.

Libéralisation du marché électrique

Si l’acheminement physique de l’électricité se fait assez facilement via le réseau électrique, l’acheminement virtuel, lui, est plus complexe. L’électricité est d’abord négociée entre les producteurs et les fournisseurs. L’un est propriétaire des centrales électriques, l’autre achète l’électricité et la fournit aux consommateurs⁵. Pour assurer cette connexion, l’Europe a mis au point une bourse de l’électricité afin de libéraliser le marché de l’énergie⁶.

Il existe deux types de bourse d’échange d’électricité. Dans les deux cas, la même commodité est échangée, l’électricité, mais avec des horizons temporels d’achat différents. Sur le marché à terme, l’électricité est achetée à un prix donné pour une période (année, trimestre, mois) dans le futur. Sur le marché spot, l’électricité est achetée au moment où elle est consommée. L’électricité ne se stockant pas, le marché spot est très volatile, c’est pourquoi – pour couvrir un risque de prix – il est possible de prendre des positions sur le marché à terme, c’est-à-dire acheter à l’avance à un prix donné. Cela permet à la fois de se couvrir si le marché augmente fortement d’un coup et de définir un budget énergie à l’avance ce qui permet aux entreprises de pouvoir définir leur capacité d’investissement.

Le marché européen fonctionne en libre concurrence, ainsi le prix de l’électricité dépend de l’offre et  de la demande. Pour assurer un revenu pour tout le monde, le prix de l’électricité correspond au coût marginal de la dernière centrale de production appelée. L’idée est d’organiser le marché de l’électricité par empilement des centrales par coût de production électrique croissant : c’est le concept d’ordre de mérite⁷.  Pour le marché spot, les membres de la bourse annoncent leurs demandes/offres d’électricité jusqu’à la veille de la livraison. La bourse permet de mettre en connexion les offreurs et les demandeurs jusqu’à 45 minutes avant la livraison.

Exemple de système d’ordre du mérite en France.
Nota : Cet exemple représente la situation en 2022, où il y avait tension sur les prix du gaz et de l’électricité.

Ayant des coûts marginaux faibles voire nuls, les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque et hydraulique au fil de l’eau) sont prioritaires sur le réseau. Une fois que ces énergies ne suffisent plus, les centrales nucléaires, qui ont un coût marginal faible⁸, sont ensuite appelées. En dernier lieu, les centrales thermiques fossiles et les barrages hydrauliques de retenue offrent une capacité de production électrique de réserve. Leur coût marginal est plus élevé, mais permettent d’assurer l’équilibre en cas de demande élevée.

Sur le marché à terme, les prix d’achat d’électricité sont fixés à l’avance, plusieurs mois voire années à l’avance. Ce marché est basé sur le même principe que celui du marché spot, l’ordre du mérite, mais avec davantage de flexibilité sur la livraison. L’heure de livraison de l’électricité n’est pas fixée à l’avance. Ce marché moins volatile permet d’anticiper les prix d’achat de l’électricité à terme et donc de limiter les risques pour les producteurs et fournisseurs. Les fournisseurs ne peuvent cependant pas simplement s’approvisionner sur ce marché, qui ne permet pas d’assurer l’équilibre de l’offre et la demande la veille pour le lendemain, mais permet de constituer un stock de fourniture.

En parallèle de ces deux marchés contrôlés, il existe dans une moindre mesure, les contrats de gré à gré : vente d’électricité directe entre un producteur et un fournisseur. Un prix est négocié entre les deux parties à plus ou moins long terme. Ces échanges commerciaux ne passent pas par les marchés européens et sont donc par nature moins transparents que les marchés précédemment présentés, mais permettent d’apporter une sécurité pour les deux signataires.

Schéma grossier d’une répartition d’approvisionnement électrique sur une journée type en France. Les fournisseurs anticipent leur approvisionnement via les marchés longs termes et ajustent leur demande via le marché très court terme (spot).

Chaque fournisseur d’électricité peut donc s’approvisionner par anticipation – via le marché à terme et les contrats de gré à gré – et ajuster son approvisionnement quelques heures avant la fourniture réelle de l’électricité, via le marché spot. Ainsi, en plus de permettre une stabilité technique du réseau, le marché européen de l’énergie ajoute une stabilité économique pour les fournisseurs et les producteurs. Jusqu’en 2022, le prix spot de l’électricité en Europe était stable à environ 50 €/MWh⁹. 

Zoom sur la France

En France, le secteur électrique a été nationalisé en 1946¹⁰. Par soucis de transport des ressources, les centrales électriques étaient installées proche des mines de charbon, ainsi  le territoire français avait donc une contrainte d’éloignement entre la production et consommation de l’électricité. Des interconnexions électriques ont donc été très tôt développées au sein du pays. En 1974, à la suite du premier choc pétrolier, la France a fait le choix de se nucléariser et a développé massivement l’électrification du pays¹¹, ce qui a permis de rendre le pays exportateur net d’électricité.

En vue de respecter les directives européennes de libéralisation du marché de l’électricité, la France a ouvert petit à petit (entre 1999 et 2007) la concurrence à EDF avec pour objectif de baisser le prix de l’électricité¹². L’idée fût dans un premier temps intéressante d’un point de vue économique : les prix du gaz et du charbon étaient relativement bas ce qui rendait les centrales thermiques fossiles compétitives par rapport aux centrales nucléaires historiques¹³.

Le Tarif Réglementé de Vente d’Électricité (TRVE) constituait le mode de tarification de l’ancien monopole public. Il visait à limiter les prix payés par les clients finaux à la stricte couverture des coûts de fonctionnement et de développement du parc de production français. La libéralisation du secteur vise en revanche à laisser le marché fixer les prix de l’électricité, par la règle de l’offre et la demande¹⁴. Peu à peu, les consommateurs ont alors été poussés à changer leur contrat d’électricité.

Ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en France. Source : Médiateur national de l’énergie¹².

De nombreux industriels ont alors abandonné le TRVE d’EDF pour signer des contrats “offre de marché” avec des fournisseurs alternatifs. Jusqu’en 2004, le pari était gagnant, mais cela était sans compter les hausses des prix du pétrole, ainsi que ceux du gaz et du charbon¹⁵, qui sont indexés au pétrole. Le prix de l’électricité d’origine fossile s’envole ainsi à partir de 2005¹⁶. Par idéologie libérale, la commission européenne a empêché le retour à des contrats à tarifs réglementés et les industriels qui avaient fait le choix du prix marché se sont retrouvés lésés¹⁷. 

L’Etat français a été contraint de trouver une solution pour répondre à cette crise et a alors adopté une stratégie visant à placer sur un pied d’égalité tous les fournisseurs d’électricité. Afin de réduire le coût de l’électricité des consommateurs ayant abandonné le TRVE, tout en respectant les règles libérales européennes, la France a adopté en 2010 la loi Nome¹⁸. Cette loi a imposé à EDF de céder 100 TWh de sa production nucléaire à la concurrence à un tarif défini par arrêté : c’est le début de l’ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ce prix est fixé selon les coûts d’exploitation, de maintenance et d’amortissement des investissements et est de 42 €/MWh¹⁹.

Fonctionnement et part de l’ARENH dans le mix électrique français²⁰

Au cours des premières années du fonctionnement de l’ARENH, les fournisseurs alternatifs ont utilisé entre 60% à 70% de la capacité maximale du dispositif. Entre 2014 et 2016, la stabilité de la demande d’électricité et le développement des ENR ont fait baisser les prix de marché de gros, se trouvant alors plus faibles que le prix fixe de l’ARENH à 42 €/MWh. Les demandes d’accès à l’ARENH ont été faibles voire nulles²¹.

En 2017, les hausses des énergies fossiles ont impacté le marché de gros de l’électricité. Le tarif de l’ARENH s’est retrouvé en deçà du prix moyen des marchés de l’électricité et les fournisseurs alternatifs ont donc utilisé l’ARENH afin de s’approvisionner à moindre coût. La dynamique de développement de la concurrence sur le marché de détail a entraîné un niveau de demande supérieur au plafond de 100 TWh depuis 2019²².

Evolution des prix du marché spot de l’électricité²³ et de la demande d’ARENH²⁴

La crise énergétique européenne de 2021-2022

Ces deux dernières années ont été marquées par des événements mettant à rude épreuve le marché européen de l’électricité. Tout a commencé avec la crise sanitaire de 2020. Le ralentissement économique a fait diminuer la consommation d’électricité. Cette baisse brutale de consommation a créé un déséquilibre non commun : trop d’offres par rapport à la demande. Les prix de l’électricité – et de l’énergie plus globalement – se sont effondrés

La relance économique post-covid, fin 2020, a entraîné une hausse de la demande d’électricité. En parallèle, certains réacteurs nucléaires ont été contraints d’être à l’arrêt pour des raisons de maintenance (décalées suite au confinement)²⁵. A cette époque, le marché commençait à être en tension, mais ce n’était que le début.. En 2021, le décalage volontaire de l’Europe d’ouverture du gazoduc Nord Stream II a déclenché des premières tensions avec la Russie. Celle-ci a répondu en réduisant l’exportation de gaz vers l’Europe²⁶. La conséquence est connue : le prix du gaz a grimpé, ce qui a ensuite engendré une hausse des prix de l’électricité, selon le principe de « merit order » expliqué précédemment.

Nouveau coup de massue : l’invasion de la Russie en Ukraine en février 2022 a accentué ces tensions et mis, une nouvelle fois, l’énergie comme bien stratégique d’importance géopolitique²⁷. La réduction délibérée de l’approvisionnement en gaz par la Russie a fait flamber les prix du gaz en Europe, qui s’est répercutée sur le prix de l’électricité²⁸. L’Europe a donc initié un plan d’urgence pour réduire la consommation de gaz et trouver d’autres fournisseurs pour cette ressource²⁹.

Enfin, pour couronner le tout, 2022 a été marquée par un niveau de production hydraulique et nucléaire historiquement faible en France³⁰. La production issue de centrales hydrauliques en 2022 a été la plus basse depuis 1976 en raison de conditions météorologiques sévères de 2022³¹. La disponibilité du nucléaire, quant-à-elle, a été au plus bas depuis 1988 en raison d’importants arrêts de réacteurs pour maintenance et de contrôles liés au phénomène de corrosion sous contraintes³². L’ensemble de ces éléments exceptionnels (production hydraulique et nucléaire faibles, hausse des prix du gaz) ont mis en lumière les limites de souveraineté du système électrique européen.

La gestion de crise en France

Bien que la France ait un parc nucléaire dominant dans la production électrique, elle n’a pas échappé au principe d’ordre du mérite et donc à l’explosion des prix de l’électricité sur le marché³³. Afin de protéger les consommateurs, l’État français est intervenu au travers deux artifices³⁴. D’un côté, l’État a obligé EDF à vendre 20 TWh supplémentaires via l’ARENH, à un coût de 46,2 €/MWh, soit, bien en deçà du prix marché. De l’autre côté, l’État a réduit une taxe sur la consommation d’électricité, faisant baisser artificiellement le prix de l’électricité, c’est ce qu’on a appelé le bouclier tarifaire³⁵. Ces deux mesures ont permis de plafonner une augmentation du TRVE à 4%.

Malheureusement, certains fournisseurs ont profité de la situation pour revendre sur le marché, de l’électricité achetée à l’avance. Ces fournisseurs ont alors poussé les consommateurs à rompre leur contrat d’achat avec eux “pour cause de hausse drastique des tarifs”³⁶. Ce trading a bénéficié à certains fournisseurs alternatifs et a fait du tort à EDF, contraint de récupérer des clients à un prix plafonné par le TRVE³⁷.

Du côté des producteurs, certaines entreprises ont également souhaité profiter de la situation en interrompant leurs contrats de vente d’électricité à un prix stable (rémunération classique pour couvrir un revenue stable pour le producteur et un prix de vente connu) et en vendant l’électricité sur le marché³⁸. Cette manipulation aurait ainsi permis à certains producteurs de se faire une belle marge par rapport à leur scénario financier de référence. Pour contrer ces bénéfices hors normes, l’État est de nouveau intervenu en appliquant une taxe sur les surprofits³⁹.

Ces mouvements financiers ont permis de révéler les failles du système d’échange commercial de l’électricité actuel. Le prix de l’électricité est devenu si volatile qu’il est nécessaire d’avoir l‘intervention de l’État pour protéger les consommateurs. Ne serait-ce pas le temps de réformer ce système afin d’éviter ou a minima d’atténuer les crises énergétiques à venir ?

La réaction européenne

Le cas observé récemment en Espagne et au Portugal est intéressant. Suite aux hausses du prix du gaz en 2022, ces deux pays ont souhaité aménager temporairement le marché européen⁴⁰. Cette dérogation n’a pas fait sortir ces pays du marché européen, mais a permis de plafonner le coût de production des centrales au gaz. Le manque à gagner des centrales à gaz a été compensé par une aide de l’État. Ainsi, seules les centrales à gaz ont payé le prix du gaz. Les prix du kilowattheure des autres centrales de production électrique n’étaient alors plus impactés par les centrales gaz. Nonobstant, cette rustine économique n’est pas une solution pérenne, une réforme du système est nécessaire.

La bonne nouvelle est que ce sujet est traité par le parlement européen⁴¹. L’objectif de la réforme vise à protéger les consommateurs au travers davantage de contrats longs termes et garantir un approvisionnement électrique même en cas de litige entre fournisseurs et clients. L’idée principale de la réforme est la normalisation des contrats d’écarts compensatoires bi-directionnels (Contracts for Difference, CfD, en anglais) permettant de contrôler les coûts de vente du kilowattheure.  

Pour cela, le producteur d’électricité et l’état conviennent ensemble d’un plancher et d’un plafond de prix de vente de l’électricité. Si le prix de marché dépasse le plafond, la différence est perçue par l’Etat et est redistribuée aux consommateurs. Si le prix de marché est en dessous du plancher, la différence est redistribuée au producteur. Ce système permet donc d’assurer une rentabilité des producteurs et de sécuriser davantage les clients finaux.

Principe du contrats d’écart compensatoire bidirectionnels (ou CfD en anglais)

Bien que l’Europe ait pris en main la problématique du marché de l’électricité, cette réforme n’a pas pour objectif de révolutionner le système⁴². Le principe d’ordre du mérite sera maintenu et le prix marché restera fixé au coût de production de la dernière centrale appelée – qui est généralement une centrale d’énergies fossiles lors des pics de demandes. La dépendance aux importations d’énergies fossiles, place l’Europe en insécurité énergétique et le principe d’ordre du mérite n’est – de fait – viable qu’en cas de paix mondiale et d’équilibre des prix de l’énergie.

Si la réforme a le mérite de sécuriser davantage les clients finaux, elle ne présente pas un système pérenne sans intervention de l’État. En cas de hausse du prix marché, l’État devra redistribuer l’argent perçu par les producteurs aux fournisseurs. Le fonctionnement du marché de l’électricité reste donc par définition complexe et composé d’acteurs non essentiels (agrégateurs, fournisseurs, intermédiaires, …). Pourquoi s’entêter à corriger un système complexe et ne pas revenir sur des choses plus simples ?

Une gestion de l’électricité de façon éthique et étatique ?

Pour accroître la souveraineté énergétique européenne et la justice économique, il faut non seulement sortir au plus vite des énergies fossiles en développant des capacité d’énergies renouvelables, mais également d’avoir un état plus fort dans le mécanisme d’échange énergétique. La maîtrise à échelle nationale de la production et la consommation électrique pourrait être une solution. L’idée n’est pas de sortir du marché européen de l’électricité, mais de n’avoir nationalement qu’un seul acteur sur le marché. Ainsi, fini les intermédiaires non essentiels (traders) pour fournir un bien essentiel, l’électricité.

Le premier levier : renationaliser la production électrique. Si l’Etat gère l’ensemble des moyens de production et de fourniture, il pourrait vendre l’électricité au coût moyen de production national en incluant la balance économique des imports exports de l’électricité aux frontières. Ainsi, il n’y aurait pas de rémunération de centrales de production à des prix qui ne reflètent pas les coûts de production. L’état rémunère les centrales au juste prix. L’unique interlocuteur sur le marché européen de l’électricité serait donc l’Etat. Il n’y aurait donc plus une multitude d’acteurs sur le marché, seuls les États feraient les arbitres entre les différents producteurs.

Comparaison du système actuel avec une gestion étatique de l’électricité.

Un mix électrique avec un maximum de coûts fixes (énergies renouvelables et nucléaire), couplé à du stockage permet de réduire la volatilité du prix de l’électricité. Présenter un système avec un prix de l’électricité pondéré aux coûts des différentes énergies pousserait le développement des énergies à faible part de coût variable et répondrait à une triple problématique : stabilité des prix, baisse des émissions de CO2 et souveraineté du pays⁴³.

Le deuxième levier non moins essentiel : la gestion de la consommation d’électricité. Les débats sur l’énergie abordent généralement le sujet des sources de production électrique, mais satisfaire l’équilibre du réseau peut également se faire via un ajustement de la consommation  électrique. Ce sujet va, à l’avenir, être une réelle nécessité pour pallier la variabilité de la production électrique.

Afin de réduire l’appel aux centrales d’appoint par énergies fossiles, l’idée serait d’éviter un maximum de pointes de consommation. Bien que les énergies renouvelables soient intermittentes, leur prévisibilité n’est plus à prouver. Ainsi, connaissant la production quelques jours à l’avance, un système d’ajustement de la consommation pourrait être envisageable. Pour ce faire, deux types de contrats en fonction du consommateur peuvent être envisagés : 

– Un contrat type pour les résidentiels, avec un coût d’abonnement faible, mais où le prix de l’électricité serait indexé sur le coût de production électrique. Le prix du kilowattheure serait donc élevé lorsque le parc électrique produit peu et faible lorsque celui-ci fonctionne à plein régime. Via un affichage en temps réel du prix de l’électricité, les consommateurs pourraient ainsi être acteur de leur facture énergétique en consommant lors des pointes de production et en évitant de consommer lors des défauts de production.

– Un contrat type pour les industriels : coût d’abonnement élevé, mais prix du kilowattheure stable. Etant donné qu’il est difficile de couper et de relancer certaines machines à la minute, ce contrat permettrait aux industriels de garder une production plutôt stable. Ce type de contrat répondrait à la production de base (créée par le nucléaire, l’hydraulique au fil de l’eau et une partie de l’éolien). Le coût d’abonnement élevé permettrait de financer les coûts d’infrastructures électriques nécessaires pour la transition énergétique.

Conclusion

L’électricité ne se stocke pas, il est donc essentiel d’avoir un système d’interconnexion européen permettant d’équilibrer l’offre et la demande d’électricité. Si la gestion physique est aujourd’hui efficace, la gestion économique, elle, est plus complexe et présente des dérives financières. La libre concurrence européenne crée des inégalités économiques et sociales. Alors que l’interconnexion européenne est cruciale pour l’équilibre du réseau électrique, le trading de l’électricité ne l’est pas nécessairement. 

Une réforme du marché européen visant à protéger davantage les consommateurs est en cours de discussion. Bien que cette réforme ait le mérite d’exister, elle n’a pas pour objectif de révolutionner le système. Le principe d’ordre du mérite est maintenu et laisse peser les menaces liées à notre dépendance aux énergies fossiles. Une gestion nationale de la production et de la vente d’électricité pourrait prévenir des abus financiers et garantir un prix aligné sur le coût de production

Auteur : Bastien BRANCHOUX

Relecteurs : Auguste RAMS, Esther CHAVET, Othilie Bieuville

Sources :

¹ Crise énergétique : comment nos voisins européens se préparent aux coupures de courant. Les Echos, 2022.

² Réforme du marché de l’électricité. Consilium, 2023.

³ Europe de l’électricité. Une perspective historique. IFRI, 2016.

Directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. EUR-Lex, 1996.

Présentation du marché de gros de l’électricité. CRE, 2023.

Bourse de l’électricité et marché européen : définition fonctionnement. Connaissance des énergies, 2013.

Électricité : définition de la logique du « merit order ». Connaissance des énergies, 2012.

Remise du rapport de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) au Gouvernement sur les coûts du parc électronucléaire. Ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et de la transition énergétique, 2023.

éCO2mix – Les prix spot sur les marchés de l’électricité. RTE.

¹⁰ Loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. Légifrance, 1946.

¹¹ La naissance du parc nucléaire français : le plan Messmer. SFEN, 2020.

¹² L’ouverture du marché de l’électricité et du gaz naturel à la concurrence. Médiateur national de l’énergie, 2023.

¹³ Histoire de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique). Connaissance des énergies, 2019.

¹⁴ Méthodologie de construction des tarifs réglementés de vente d’électricité. CRE, 2021.

¹⁵ Le prix du gaz naturel : comment ça marche ? ENI, 2013.

¹⁶ Le prix du gaz et de l’électricité. Economie.gouv, 2023.

La consommation d’énergie dans l’industrie de 2005 à 2012 : le volume baisse, la facture augmente. INSEE, 2014.

¹⁷ Prix de l’électricité : situation bloquée entre EDF et les industriels. Les Echos, 2005.

¹⁸ LOI n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité. Légifrance, 2010.

¹⁹ Le Bénéfice ARENH. EDF, 2023.

²⁰ Production – Production totale : RTE Bilan électrique 2021, RTE, 2022.

Mix énergétique : pour une production plus responsable. EDF, 2023.

Information sur l’origine de l’électricité fournie par EDF. EDF, 2023.

²¹ Evaluation du dispositif ARENH entre 2011 et 2017. CRE, 2018.

²² La CRE considère qu’une réforme de l’ARENH est souhaitable. CRE, 2020.

²³ Bilan physique et monétaire de l’électricité 2011-2015 : une dépense de plus de 50 milliards d’euros en 2015. Ministère de la transition écologique et solidaire, 2017.

ENTSO-E Transparency Platform. ENTSOE, 2023.

²⁴ RPT – L’organisation des marchés de l’électricité. Cour des comptes, 2022.

²⁵ Nucléaire : pourquoi l’arrêt de quatre réacteurs EDF tombe au plus mauvais moment. Les Echos, 2021.

²⁶ Le gaz russe, redoutable arme géopolitique Le Figaro, 2021.

²⁷ Guerre en Ukraine : Gazprom assume son choix de baisser ses livraisons à l’Europe, les prix du gaz s’envolent. Le Monde, 2022.

²⁸ Impact de l’invasion de l’Ukraine par la Russie sur les marchés: réaction de l’UE. Conseil européen, 2022.

²⁹ D’où provient le gaz de l’UE? Conseil européen, 2023.

³⁰ Bilan électrique 2022 – Un système électrique français résilient face à la crise énergétique. RTE, 2023.

³¹ 2022, année la plus chaude en France | Météo-France (meteofrance.com)2022, année la plus chaude en France. Météo France, 2023.

³² EDF face au phénomène de corrosion sous contrainte. Sfen, 2022.

³³ Hausse des prix de l’électricité : les marchés spot reflètent le prix du gaz. Technique de l’ingénieur, 2021.

³⁴ Plafonnement des TRVE à partir du 1er février 2022. CRE, 2022.

³⁵ Bouclier tarifaire pour l’électricité. Ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et de la transition énergétique, 2023.

³⁶ Électricité : pourquoi l’appel des fournisseurs alternatifs à rejoindre EDF risque d’aggraver la crise. La Tribune, 2022.

³⁷ Santé financière des producteurs d’électricité : des résultats exceptionnels, soutien à la transition énergétique amorcée. Colombus Consulting, 2023.

³⁸ « Ce sont les Shadoks ! » : Macron dénonce les prix « absurdes » de l’électricité et s’en prend aux « profiteurs de guerre ». Boursorama, 2022.

³⁹ Décret n° 2023-522 du 28 juin 2023 relatif aux modalités de déclaration et de paiement de la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité. Légifrance, 2023.

⁴⁰ La Commission autorise mesure espagnole et portugaise visant à réduire les prix de l’électricité. Commission européenne, 2022.

⁴¹ Des plans pour un marché de l’électricité plus stable et abordable. Parlement européen, 2023.

⁴² Le Parlement européen vote une réforme peu ambitieuse du marché de l’électricité. EURACTIV, 2023.

⁴³ Réforme du marché de l’électricité en Europe : quand les CAPEX détrônent les OPEX. Connaissance des énergies, 2022.

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