CLIMAT, ÉNERGIE: LES PARAMÈTRES CLÉS DE L’ÉQUILIBRE HUMAIN

Si on regarde l’évolution du monde depuis les années 1960, on peut facilement mettre en relation les dérèglements climatiques et notre dépendance au pétrole avec les troubles économiques et sociopolitiques que l’on constate dans de nombreux pays. Le cas de la Syrie est particulièrement représentatif : les baisses des productions agricoles et pétrolières du pays ont déclenchés de graves problèmes économiques et sociaux. Essayons d’en tirer des enseignements.

Le pétrole: une ressource énergétique sans contraintes?

Il faut environ 100 millions d’années pour transformer des débris de plantes et microorganismes en pétrole. A l’échelle d’une société, le pétrole peut donc être considéré comme une ressource non renouvelable et ainsi à quantité limitée. La quantité de pétrole que nous exploitons part donc nécessairement de zéro pour finir à zéro. Entre les deux, il existe une production maximum qu’on appelle le pic pétrolier. Le pétrole joue un rôle crucial dans l’économie des pays, notamment pour les pays producteurs dont une bonne partie du PIB repose sur l’exploitation de cette ressource. Prenons l’exemple de la Syrie, qui a atteint son pic pétrolier en 2002¹.

Figure 1: Production de pétrole et exportations nettes d’énergie en Syrie,
Source: Perspective monde ( British PetrolEum et Banque mondiale).

Le graphique ci-dessus nous montre la corrélation entre les exportations d’énergie de la Syrie et sa production de pétrole. Comme on peut le voir, lorsque le pays produit plus de pétrole, les exportations énergétiques augmentent également. Auparavant  exportateur de pétrole, la Syrie se trouve depuis 2012 dans la liste des pays importateurs et se retrouve à son tour dépendante de pays producteurs comme l’Iran, l’Algérie et la Russie.

En plus de provoquer des dépendances énergétiques, le pétrole, et plus généralement les énergies fossiles, sont à l’origine d’émissions de CO₂, un gaz à effet de serre. La production et l’utilisation du pétrole dans toutes ses formes causent une augmentation globale des températures moyennes et engendrent des perturbations climatiques.

Le climat et l’agriculture

Lorsque l’on regarde des courbes de productions et rendements agricoles et des courbes de l’évolution de la température moyenne de différents pays depuis 50 ans, on peut observer une importante corrélation faisant écho à certains troubles politiques remarquables. Ces observations sont particulièrement visibles en Syrie :

Pour comprendre le phénomène en Syrie, il faut d’abord connaître quelques caractéristiques propres à ce pays : le climat de la Syrie est composé de deux saisons, une saison des pluies de novembre à mars, et une saison de sécheresse le reste de l’année. Avec un tel climat, la Syrie est essentiellement un pays producteur et exportateur de céréales, car ce type d’agriculture ne nécessite pas beaucoup d’eau².

Le réchauffement climatique n’est pas nouveau, mais il est aussi observable en Syrie :


Figure 2: Evolution des températures moyennes en Syrie,
Source: FAO¹.

La figure 2 représente les écarts de températures observables par rapport à 1960. La montée des températures est flagrante ici et peut être mise en relation avec les problèmes agricoles du pays : Les rendements sont en baisse constante depuis 20 ans selon les données de la FAO.

Impact économique de taille

Avant les années 2000, l’exportation de céréales en Syrie (majoritairement le blé) représentait plus de 25% du PIB¹. Avec la hausse des températures et la baisse des rendements agricoles, le pays s’est retrouvé dans une situation compliquée, et les années de rude sécheresse (2006 – 2010) n’ont pas arrangé la situation³. La perte fut telle que le pays dut importer des céréales pour alimenter la population au lieu d’en exporter. En parallèle, à cause de la baisse de production de pétrole depuis 2002, la Syrie dut diminuer ses exportations jusqu’à aussi en importer.

Les pertes économiques dues à l’épuisement du pétrole et la baisse des rendements agricole ont engendré des hausses dramatiques des prix des denrées⁴.Suite à cette crise économique, des révoltes ont éclatées dans tout le pays : ce fut le début de la guerre civile. Les citoyens ont naturellement cherché à fuir les ravages de la guerre. La situation en Syrie a ainsi eu des répercussions sur l’ensemble de la communauté internationale et en particulier en Europe où un flux incontrôlable de migrants a dû être pris en charge, divisant ainsi les opinions.

Malheureusement, la situation est loin d’être résolue aujourd’hui: la dégradation des sols causée par la guerre a encore sévèrement réduit les productions agricoles du pays. Malgré les aides internationales pour restaurer les moyens de production agricole syriens⁵, l’agriculture a du mal à repartir et devra faire face aux problèmes climatiques croissants.

Et la France dans tout ça?

En France, comme dans tous les pays développés, l’homme est dépendant d’énergie. Le système économique mondial est fondé sur l’abondance de l’énergie : toute transformation issue de machines (agriculture, industrie, transport, …) nécessite une source énergétique. Grâce au nucléaire, la France est indépendante en électricité, mais est loin d’être indépendante en énergie.


Figure 3: Bouquet énergétique primaire de la France en 2017,
Source:  calculs SDES, à partir des sources par énergie⁶.

En 2017 le mix énergétique primaire français se compose à 49% d’énergie fossile
(charbon, pétrole, gaz). Contrairement au charbon qui sera facilement substituable, la France dépend aujourd’hui énormément de gaz et de pétrole. Ne produisant pas ou très peu ces ressources, elle doit les importer en quasi-totalité pour satisfaire la consommation du pays. Les pays exportateurs (comme la Syrie) se retrouveront nécessairement un jours en manque de pétrole, et aura de lourdes conséquences sur les importations européennes comme la France. Le cas de la Syrie était un exemple pour prévenir des possibles conséquences.

Notre dépendance aux pays exportateurs de ressources fossiles pose des problèmes géopolitiques majeurs, à mesure que les réserves baissent. Lorsque les sources seront épuisées et que nous ne pourrons plus importer, nous devrons changer significativement nos modes de vie : Transports, industries, alimentations, tout sera impacté par les hausses inévitables des prix du pétrole et du gaz, puis leur disparition.

Conséquences et perspectives pour la France

Il existe de nombreux scénarios possibles pour l’avenir de la France et ils dépendent en grande partie des mesures politiques prises par le gouvernement. Si dès demain, des mesures sont prises pour changer radicalement de voie, les conséquences à long terme seront plus légères que si nous attendons simplement la fin des ressources. Même en négligeant les aspects environnementaux, une décroissance est à prévoir dans les décennies à venir. Voyez l’énergie comme le carburant de l’économie; une diminution de carburant entraînera une diminution de performance. Toutes nos habitudes et modes de consommation vont être bouleversés. Voici les principaux points sur lesquels nous devons tous travailler :

Les transports

Les transports sont parties intégrantes de nos vies. Nous les utilisons tous les jours pour nous déplacer, et, même sans le savoir, nous consommons des quantités astronomiques de pétrole rien qu’en allant faire nos courses : fabrication, agriculture, transformation de produits, importation de biens de consommation, etc…

En 2017, le gazole routier représentait près de la moitié de la consommation de produits pétroliers. Nos habitudes de transport sont en grande partie responsables de notre consommation de pétrole. Nous allons devoir trouver des solutions pour réduire nos émissions et notre consommation, à commencer par laisser la voiture individuelle au profit des transports en commun ou du vélo.

En ce qui concerne les échanges internationaux (et donc tous les produits que nous importons), le pétrole y joue pleinement son rôle. Pour le moment, les transports aériens et maritimes dépendent intégralement du pétrole. La baisse de pétrole disponible entraînera une diminution des échanges et ainsi, une augmentation des prix des produits importés.

Afin d’éviter que notre économie soit bouleversée quand la pénurie se fera sentir – en attendant de trouver de nouvelles sources d’énergie pour les transports – il est capital d’entrer dans une phase transitoire, en s’éloignant peu à peu du pétrole. Cette transition énergétique des transports pourrait commencer par une taxe générale sur le pétrole (essence, diesel, kérosène) avec en contrepartie le développement de réseaux de transports en commun avec des prix plus attractifs. Une baisse du nombre de vols touristiques et de fret devrait également être envisagée. De manière globale, seuls des efforts sur notre confort pourront à long terme, limiter les conséquences négatives sur l’environnement et adoucir le choc auquel nous allons faire face.

L’alimentation

Depuis la révolution industrielle, nous sommes passés d’une production agricole respectueuse de l’environnement et de l’équilibre écologique à une surexploitation des terres avec la monoculture. Cette évolution de l’agriculture est l’une des tristes conséquences de l’accès à une énergie peu chère et abondante : nous avons pu remplacer l’homme par des machines et utiliser des produits chimiques pour maximiser les rendements, sans penser aux conséquences néfastes pour notre planète.

Pour être moins dépendant de ces ressources, de nouvelles façons de cultiver existent comme la permaculture⁷ : pour une efficacité de récolte identique, il est possible de produire sans engrais et sans appauvrir les terres. Nos connaissances biologiques pourraient nous permettre de produire plus intelligemment⁸.

Les métaux

L’énergie n’est pas l’unique source des problèmes environnementaux, économiques et sociaux actuels. L’ensemble des matériaux extraits de la Terre et notamment les métaux en sont responsables. Ceux-ci sont utilisés comme base industrielle pour un nombre incalculable de produits (de nos logements à nos smartphones) et sont, comme le pétrole, en quantité limitée sur Terre, en plus d’être coûteux et polluants à extraire. Si l’on venait à en manquer, tous les objets utilisant des métaux se retrouveraient inaccessibles.

Contrairement au pétrole, les métaux peuvent se recycler, et nous en avons les moyens techniques. Cependant, les alliages formés de plusieurs métaux sont difficilement recyclables et sont malheureusement présents partout (technologies High Tech, électronique, …). Il est grand temps de changer nos modes de production afin de pouvoir plus recycler et réduire les impacts environnementaux. Philippe BIHOUIX parle d’une génération “low tech” : créer des produits mieux recyclables ayant moins d’impact sur l’environnement⁹.

On rencontre également ce problème dans les moyens de production de certaines énergies renouvelables (éoliennes, panneaux solaires). Ces technologies nécessitent des métaux rares et très compliqués à recycler après utilisation : c’est une des limites actuelles majeures des énergies renouvelables. Réduire la production de biens gourmands en métaux, améliorer la robustesse des produits afin qu’ils aient une durée de vie allongée ou encore favoriser le recyclage via une nouvelle génération de produits sont des solutions accessibles pour demain. Cela permettra de conserver des métaux pour pouvoir produire des énergies renouvelables.

La pétrochimie

En plus d’être une source d’énergie, le pétrole est énormément utilisé par la pétrochimie (industrie des dérivés du pétrole). Ces produits sont omniprésents dans les pays industrialisés comme la France. Les plastiques que l’on retrouve absolument partout, l’électro-ménager, les chaussures, les meubles, les stylos, et  même la lingerie sont issus du pétrole.

Comme pour les transports, pour éviter un trop gros choc quand les ressources seront épuisées, on pourrait imposer aux entreprises une réduction des productions issues de la pétrochimie à travers une taxe carbone. Cela les contraindrait à changer leur moyen de production (matériaux, emballages, source d’énergie). Les entreprises qui ont fondées leurs économies sur la pétrochimie devront être accompagnées dans leur reconversion.

Les habitations

Une grande partie de la consommation de gaz naturel est concentrée dans le secteur tertiaire et résidentiel. Comme pour le pétrole, la quantité de gaz disponible va tôt ou tard être épuisée. Le gaz étant majoritairement utilisé comme moyen de chauffage, nous allons devoir changer de source d’énergie pour nous chauffer. Le chauffage électrique peut être une solution à condition que cette électricité ne soit pas issue de ressources fossiles. L’Etat a déjà commencé à promouvoir la transition vers des chaudières électrique à travers des aides financières¹º. L’énergie solaire pourrait également être une bonne alternative, à condition d’améliorer leur recyclabilité.

A nous de jouer

Le système économique actuel est fondé sur la consommation de ressources vouées à disparaître – en plus d’être à l’origine de gaz à effet de serre. La question du pétrole traitée dans cet article n’est qu’une fraction des problèmes auxquels nous allons devoir faire face dans les prochaines décennies. C’est bien tout le modèle économique qui est à remettre en question, aussi bien pour les entreprises que pour les consommateurs. Il faut être conscient que la transition vers un avenir durable prendra du temps. Il est impossible de passer d’une politique fondée sur la croissance économique à une politique intégrant les enjeux environnementaux du jour au lendemain.

Une période transitoire est nécessaire, et a en quelque sorte déjà commencé : on observe une prise de conscience globale ces dernières années, et le phénomène prend de l’ampleur. Le 15 mars dernier, une marche mondiale pour le climat à eu lieu. Le peuple est aujourd’hui en train de comprendre les enjeux à relever pour demain. Cependant la compréhension reste partielle et peut parfois mener à des confusions. Les baisses de productions issues de l’industrie et de l’agriculture ainsi que la diminution des échanges internationaux entraîneront le pays dans des difficultés économiques importantes mais inévitables. Certaines mesures provoqueront forcément de nombreux désaccords : le mouvement des gilets jaunes en est une illustration.

Pour sauver la France, et de manière plus globale, la planète, il faut arriver à un consensus entre scientifiques, politiciens et citoyens. Lorsque des mesures environnementales sont prises par gouvernement, c’est aux citoyens d’avoir confiance en leurs dirigeants. Nous devons nous renseigner et communiquer sur les enjeux environnementaux afin de faciliter les démarches futures.

Auteurs : BRANCHOUX Bastien, CHAVET Esther.

Sources :

¹ Données de la FAO

² PARMENTIER Paul, L’agriculture en Syrie. Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, 2e année, bulletin n°6, 1922.

³ Les enjeux de l’agriculture au Proche-Orient. Rapport de la Food and agriculture Organiztion of the United Stats (FAO), 2006.

FAO/WFP CROP AND FOOD SECURITY ASSESSMENT MISSION TO THE SYRIAN ARAB REPUBLIC. FAO, 2018.

⁵ La FAO et le Département du développement international du Royaume-Uni (DFID) se sont unis pour rétablir la production céréalières: article

Bilan énergétique de la France pour 2017. Commissariat général au développement durable, 2019.

⁷ Pablo SERVIGNE, Nourrir l’Europe en temps de crise, 2017.

⁸ Masanobu FUKUOKA, The One-Straw Revolution, Holistic Agriculture Library, Goa, India, Other India Press, 1992.

⁹ Philippe BIHOUIX, Benoît DE GUILLEBON, Quel futur pour les métaux ? EDP Science, 2010.

¹º Réglementation aides financières 2018, ADEM, 2018.